Kamto a-t-il sacrifié sa Reine ?

Aurore

“La réalité dépasse la fiction, car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas de la réalité.”

Mark Twain

Ce Lundi 25 Novembre 2019, dans un scénario digne de la série Game of Thrones, le Président Maurice Kamto a provoqué un véritable tremblement de terre en annonçant lors d’une conférence de presse : “Le M.R.C a choisi de ne pas prendre part aux élections législatives et municipales du 9 Février 2020.”

Les ondes sismiques résultant de cette annonce, ont ébranlé les esprits même jusque dans son propre camp. Pour mesurer leur impact, pas besoin de consulter le sismographe, il suffit de regarder le grand débat — national ? — que cela a engendré. Dans le triangle national comme à l’international, cette sortie a été abondamment commentée par les médias. Sur les réseaux sociaux, elle ne finit pas de susciter moult débats. Même le Grand Monologue National convoqué par Paul Biya, n’avait pas causé autant d’émoi. Mais comment expliquer que quelqu’un qui, un jour avant (le 24 Novembre) supervisait encore la commission en charge des investitures du parti, peut le lendemain annoncer qu’il boycotte les élections ? Certains se sont même empressés de dire que cela prouvait que Kamto était un piètre stratégiste. Cette assertion est elle fondée ?

Kamto piètre stratégiste ?

“Toute pensée critique commence par formuler des questions qui comptent.”

Achille Mbembe

Le 10 Novembre 2019, Biya promulgue le décret n° 2019/612 portant convocation du corps électoral en vue de l’élection législatives et municipales. Le M.R.C décide de prendre part à ces élections. On a vu même des figures de ce parti comme Me Michele Ndoki, annoncées leur candidature sur les réseaux sociaux.

Le 19 Novembre, le Président Kamto crée une commission en charge des investitures pour les élections municipales et législatives. Il convoque cette dernière pour le vendredi 22 Novembre, à 9 heures précises au siège du parti à Odza-Yaoundé — elle siègera jusqu’au dimanche 24 Novembre. Nonobstant que les autorités administratives et municipales — à Yaoundé IIIe, Bangou, Ebone, Ambam, Kekem… — dans le but d’ostraciser le M.R.C, ont ponctué d’écueils le processus d’obtention des pièces nécessaires pour candidater, la commission a pu investir des candidats dans de nombreuses circonscriptions électorales. Comment donc expliquer cette volte-face au cours de la conférence de presse donnée au siège du Parti le 25 Novembre 2019 ? Cette décision démontre t’elle la piètrerie en stratégie au sein du M.R.C en général et chez son président national en particulier ? Mais déjà qu’est-ce que la stratégie ?

Stratégie =/= Tactique

“La stratégie, c’est le choix des tactiques.”

Général André Beaufre

Stratégie et Tactique sont deux concepts qui puisent leur source dans l’art de la guerre :

• La tactique est l’art d’organiser et disposer ses forces pour gagner une bataille (objectif à court terme).
• La stratégie est l’art de mobiliser ses forces, et de concaténer ses batailles pour gagner la guerre (objectif ultime).

Comme vous l’avez sûrement constaté, la stratégie est l’englobant, et la tactique l’englobé. La stratégie plus rigide, est seulement influencée par les événements majeurs, alors que la tactique plus flexible, est influencée par les contingences. Le but ultime du M.R.C étant la renaissance du Cameroun, et non la conquête de l’Assemblée Nationale et des Mairies, on peut d’ores et déjà dire que le COUP joué par Maurice Kamto relève de la tactique et non de la stratégie. La volte-face étant même un classique de la tactique militaire. Il est important de préciser que le Président Kamto, a convoqué dès le 18 Novembre le Conseil National élargi de son parti . Ce dernier a siégé le lundi 25 Novembre juste avant sa conférence de presse. Connaissant le style de jeu politique du personnage (inclination pour la diversion) et vu le timing, on peut légitimement inférer que cette décision, était déjà dans les tuyaux avant la convocation du Conseil National élargi — Christian Penda Ekoka l’a d’ailleurs confirmé sur JMTV +. Mais il l’a juste mise en délibérée puis annoncée le 25 Novembre 2019.

Même si, on ne connaît toujours pas avec exactitude toutes les contingences qui l’ont guidé vers ce choix tactique, le Président Kamto a réellement bien orchestré son COUP — au regard des réactions de ses adversaires. En jouant son COUP moins de quelques heures avant la limite des dépôts de candidature chez Elecam, il a pris tout le landerneau politique camerounais de court.

Le sacrifice de Reine

L’ampleur d’un sacrifice est négligeable, face à la grandeur du dessein qu’il rend atteignable.

Le sacrifice de Reine est un choix tactique, qui consiste la plupart du temps à exposer sur l’échiquier sa pièce omnipotente (la Reine), pour sauver sa pièce prédominante (le Roi). Maurice Kamto en choisissant de boycotter les élections législatives et municipales du 9 Fevrier 2020, sait que si le code électoral reste en l’état, non seulement sa formation politique ne pourra pas concourir pour les prochaines élections regionales et sénatoriales, mais pis encore ne pourra pas présenter de candidat pour la présidentielle 2025. Les armes crépitant dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest tous les jours, et les cadavres s’y amoncelant toujours — déjà plus de 3000 morts selon de dernier rapport de l’International Crisis Group (I.C.G) — , il a refusé d’adouber une partition de facto du Cameroun. Malgré que les membres de sa formation politique fourbissaient déjà leurs armes pour prendre d’assaut l’Assemblée nationale et les mairies — le M.R.C ayant le vent en poupe, ils auraient sans aucun doute conquis une myriade de sièges de conseillers municipaux et de députés — , le Président Maurice Kamto a préféré exposer sa Reine (sa formation politique), pour sauver son Roi (le Cameroun 🇨🇲). Il hypothèque ainsi sa carrière politique.

Les répliques sismiques

“Le pire et le plus dangereux dont soit capable un savant lui vient de l’instinct de médiocrité de son espèce : de ce jésuitisme de la médiocrité qui travaille instinctivement à l’anéantissement de l’homme d’exception”

Friedrich W. Nietzsche, Par-delà Bien et Mal, § 206

Après l’annonce de cette décision, nombreux sont ceux, parmi les homoncules que comptent le R.D.P.C et ses satellites, qui se sont empressés de dire que Kamto s’est fait hara-kiri. Assérant qu’avec le COUP que venait de faire ce dernier, il dressait son acte de décès politique. Il faut vraiment souffrir d’un déficit en capacités cognitives — quoi d’étonnant pour des homoncules !?— pour donner un avis aussi péremptoire, alors qu’on est juste au coup liminaire d’une série. Un analyste digne de ce nom — contrairement aux homoncules — fait montre d’une certaine rigueur dans la construction de ses analyses. Il sait qu’il faut attendre les prochains coups pour pouvoir se prononcer péremptoirement — car des COUPS il y’en aura. Surtout que lors d’une partie d’échecs , on ne reste pas hypnotisé par le coup — aussi spectaculaire soit-il — que l’adversaire vient de jouer. On passe plutôt l’échiquier au crible, en essayant de subodorer le(s) prochain(s) coup(s) qu’il jouera. Et déjà depuis lundi, il y’a eu des mouvements sur l’échiquier politique :

• Une délégation camerounaise conduite par le ministre Felix Mbayu, est allé aux U.S.A rencontrer Tibor Naguy pour demander la suspension des sanctions américaines.
• Une mission de haut niveau, composée du Secrétaire Général de l’U.A (Union africaine), de la Secrétaire Générale de l’O.I.F (Organisation Internationale de Francophonie) et de la Secrétaire Générale du Commonwealth, est arrivée le 26 Novembre au Cameroun, dans l’optique de proposer son aide pour la résolution de la guerre au Nord-Ouest et au Sud-Ouest. Ces derniers ont rencontré Mr. Biya le 26 Novembre, le Président Kamto le 27 Novembre, et quelques autres personnalités du microcosme politique et de la société civile. Après avoir passé 72h au Cameroun, la mission est partie ce Jeudi 28 Novembre.
• Ce jeudi 28 Novembre, ces cryptorchides que sont Joshua Osih et Cabral Libii, ont chacun fait une conférence de presse. Joshua Osih dans la sienne a demandé le report des élections, si d’ici Février la paix n’est pas revenue dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Cabral Libii quant à lui, a demandé 15 jours supplémentaires à Elecam, pour pouvoir compléter ses dossiers de candidature.

Crepuscule

“La différence entre l’homme politique et l’homme d’Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération.”

James Freeman Clarke

Le Président Maurice Kamto en boycottant les élections législatives et municipales, a choisi de risquer la vie de sa formation politique, pour sauver le Cameroun. Il est pleinement conscient qu’en posant cet acte lourd de conséquences, il hypothèque sa propre carrière politique. Surtout que, comme lui-même le rappelait devant les femmes du parti (F.M.R.C) il y’a quelques semaines, la politique de la chaise vide au Cameroun jusqu’ici n’a jamais payé. En ne planifiant pas juste un boycott, mais un boycott actif, brisera-t-il le signe indien ? Seul l’avenir nous le dira. Ce qui est sûr, le M.R.C — vu son parcours depuis plus d’un an — donne des raisons d’espérer. De surcroît, cette nouvelle épreuve donne l’occasion d’opérer une carthasis, pour excréter du parti tous ceux qui y sont entrés par opportunisme, et non par sacerdotalisme. Avant l’organisation de toute nouvelle élection au Cameroun, le tireur de penalty a exigé, qu’une solution pour mettre fin à la guerre au Nord-Ouest et au Sud-Ouest soit trouvée ; et qu’une révision consensuelle du système électoral soit adoptée. Il a déclaré sans ambages : “ j’appelle les partis politiques, l’ensemble de la société civile, et les organisations et autres forces religieuses, à se joindre au M.R.C pour boycotter le double-scrutin du 9 Février 2020". Le véritable vainqueur de la présidentielle d’octobre 2018, a choisi de prendre ses responsabilités face aux camerounais et face à l’histoire. Il nous démontre ainsi que loin d’être un pouvoiriste, il est entré en politique pour qu’un véritable changement advienne au Cameroun.

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