Le M.R.C doit-il aller aux élections ?

Sianan Wukak
5 min readOct 31, 2019

Photo prise par Zohra Bensemra / Reuters

Aube

Depuis la sortie de prison du président Maurice Kamto, le M.R.C polarise l’attention médiatique — comme c’est d’ailleurs le cas depuis Janvier 2019. Samedi 26 Octobre, le leader de ce parti a officialisé leur participation aux prochaines élections législatives et municipales, surprenant ainsi certains, et provoquant l’ire d’autres. Ces derniers, étaient convaincus que le M.R.C boycotterait les prochaines échéances électorales. Le tireur de penalty, vient encore une fois de feinter une bonne partie de la classe politique, mais inscrira t-il le but ?

I - la politique de la chaise vide

Pendant les années de braise (90-92), le SDF fort de sa popularité, va décider de boycotter les élections législatives du 1er Mars 1992 — organisées après les l’application de quelques des résolutions de la tripartite. Mais, pendant que le SDF adoptera la politique de la chaise vide — car il se plaignait du code électorale entre autres—, des partis de l’opposition iront aux élections. Résultat des courses:

  • RDPC 88 sièges/180
  • UNPDP 68 sièges/180
  • UPC tendance Kodock 18 sièges/180
  • MDR (Mouvement pour la Défense de la République) 6 sièges/180

L’UPC et le MDR rejoignirent le groupe du parti présidentiel à l’Assemblée Nationale, ce qui permit au RDPC d’avoir une majorité confortable pour diriger le pays.

En 1997, le SDF réclame une reforme du code électoral, sans laquelle il n’ira pas aux élections présidentielles. Rebelote! Les partis de l’opposition comme l’UPC et le MDR, vont aux élections présidentielles du 12 octobre 1997, et Biya est réélu avec 92 % des voix.

II- Kamto est-il incohérent ?

Si on fait une analyse superficielle de tout ceci, alors oui le président Maurice Kamto semble incohérent. Comment peut-il revendiquer sa victoire à la présidentielle, et en même temps aller aux élections législatives et municipales ? Alors même que ni le code électoral, ni les membres du conseil constitutionnel n’ont changé ? Einstein ne disait-il pas: “la folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent” ?

Mais permettez moi de délaisser cette surface trop plate — comme toutes les surfaces d’ailleurs — pour plonger dans les abysses du monde politique, et vous offrir une analyse plus riche.

Le M.R.C depuis sa création en 2012, a clairement opté pour la lutte dans le regime. Pour que vous puissiez vous faire une idée, les sécessionnistes qui sévissent au Nord-Ouest et au Sud-Ouest, ont choisi la lutte sur le régime. Vu l’ascension incoercible que connaît ce parti depuis sa création, ce choix a sans l’ombre d’un doute été payant jusqu’ici. Après la présidentielle, le M.R.C a organisé des manifestations pacifiques pour revendiquer sa victoire nonobstant les interdictions de l’administration. Ils semblaient avoir des velléités de lutte sur le régime, mais ce pas n’a pas été franchi. La réforme du code électoral faisait également partie de leurs revendications, mais ils n’ont jamais conditionné leur participation aux élections législatives et municipales à la réforme du code électoral, même si leur attitude pouvait laisser croire le contraire. Depuis cette perspective, la démarche du présidente du M.R.C est parfaitement cohérente.

III- Concréter l’emprise sur certaines régions du pays

Depuis l’élection présidentielle d’Octobre 2018, et encore plus depuis l’arrestation de son président en Janvier dernier, le M.R.C a le vent en poupe — c’est le moins que l’on puisse dire. Chaque journée d’adhésion qu’ils lancent, fait un tabac. La dernière en date, a eu lieu Samedi dernier au siège du M.R.C à Deido (Douala). Le parti a enregistré 2448 nouveaux adhérents. Rappelons qu’à la présidentielle — malgré les fraudes cyclopéennes — le M.R.C s’est imposé dans le Littoral, avec des scores très impressionnants dans le Wouri et le Moungo. Il s’est également imposé dans la MIFI, la Menoua, le Haut-Nkam. Et Il a réalisé de très bons scores dans le Mfoundi.

Comme je l’ai montré plus haut, si on se garde tout anhistoricisme, il apparaît clairement que la politique de la chaise vide n’a jamais porté ses fruits au Cameroun. Si notre système de partis était le bipartisme, et que le M.R.C était dans un face à face avec le RDPC, ne pas aller aux élections municipales et législatives avant toute réforme du code électoral aurait un sens, car cela jetterait le discrédit sur ces élections. Mais vu que le Cameroun a pour système de partis le multipartisme, si le M.R.C ne va pas aux élections, “les opposants à l’opposition” y iront malgré tout — pourtant cette cause devrait faire l’objet d’un consensus. Dans un à-plat-ventrisme assumé pour certains, masqué pour d’autres, ces crève-la-faim de l’opposition sont toujours prêts à tendre la sébile, espérants que le Roi fainéant y glisse une obole. Ne pas aller aux élections, ce serait laisser ces roublards, ces froussards, ces vantards, prendre possession des bastions que le M.R.C a âprement conquis. Tout ceci bien sûre sous les applaudissements du RDPC, vu qu’ils adorent choisirent leurs adversaires et même leurs interlocuteurs — comme nous l’avons vu au Grand “Biyalogue” National.

Crépuscule

Même si j’espère que le M.R.C fera un score tonitruant à ces élections, je ne me fais guère d’illusion. Avoir des députés et des conseillers municipaux, ne permettra pas au M.R.C de “changer les choses” au Cameroun. Même si par miracle — vu la coalition RDPC + Elecam + le Conseil Constitutionnel — , ce parti parvenait à obtenir la majorité à l’assemblée nationale, le sénat reste toujours dominé par le RDPC. Et pour qu’une loi soit adoptée, il faut qu’elle soit votée par chacune des deux chambres du parlement. Par contre le M.R.C pourra stopper l’adoption de certaines lois, et obliger le premier ministre ainsi que son gouvernement à démissionner [article 34 (3) et (5)]. S’agissant des mairies, les conseillers municipaux sont malheureusement subordonnés aux délégués du gouvernement nommés par le Président. Mais il ne fait aucun doute, qu’il est primordial pour eux de prendre d’assaut les mairies et l’Assemblée Nationale, pour asseoir leur emprise politique sur le pays — surtout que le roi fainéant peut casser sa pipe à tout moment. Sachant que le M.R.C poursuit sa stratégie entamée depuis la présidentielle 2018, qui vise à démontrer l’illégitimité de l’ordre gouvernant, cette élection est une étape capitale, dans l’Odyssée qui mène vers Etoudi.

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Sianan Wukak

"les vérités de tempérament doivent se payer d’une manière ou d’une autre.Les viscères, le sang, les malaises et les vices se concertent pour les faire naître."