Le penalty historique (08.10.18-08.10.19)

Sianan Wukak
8 min readOct 8, 2019

“Ce régime croit que la prison peut tout régler. Or, même la mort ne peut tout régler. On n’enferme pas l’esprit, on n’enferme pas une cause.”

Pr. Maurice Kamto, extrait de sa “lettre aux camerounais” datée du 28 Avril 2019, écrite depuis les geôles de la prison principale de Yaoundé.

Introduction

Ayant un appétit d’ogre quand il s’agit d’histoire en général et d’histoire politique en particulier, j’ai dévoré les pages de quelques des plus beaux duels politiques de l’histoire: Matthieu Kerekou VS Nicephlore Soglo, Abdoulaye Wade VS Abdou Diouf, Robert Mugabe VS Morgan Tsvangirai, Alassane Ouattara VS Laurent Gbagbo… À l’aube de l’année 2018, je n’aurais jamais pensé que l’élection présidentielle du 7 octobre offrirait à mon fin palais, une des pages les plus exquises qu’il m’est été donné de déguster.

Il a entendu nos appels pressants

C’est dans un Cameroun, gangrené non seulement par la guerre de sécession qui sévit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, mais aussi par les attaques terroristes de la secte Boko Haram dans l’Extrême-Nord, que se déroulera la présidentielle de 2018. Si comme disait Emile de Girardin: “gouverner c’est prévoir”, alors les 36 années de Paul Biya à la tête du Cameroun sont un échec cuisant. Il n’a pu ni prévoir une solution au problème “anglophone” qui larvait pourtant depuis des décennies, ni prévoir une solution au chômage des jeunes qui est endémique depuis l’explosion démographique, je ne préfère même pas m’étaler sur la corruption généralisée qu’il n’aura jamais pu endiguer. Malgré 36 années de médiocratie, Paul Biya âgé de 85 ans a décidé de se présenter à l’élection présidentielle pour briguer un nouveau mandat, car il “aurait” — permettez moi de supposer qu’à son âge avancée, son ouïe peut lui jouer des tours — entendu nos appels pressants.

La campagne présidentielle

Comparée aux campagnes présidentielles précédentes (2004, 2011), celle de 2018 fût extraordinairement animée— la démocratisation des réseaux sociaux n’y étant sûrement pas étrangère.

  • Le meilleur: les programmes politiques du M.R.C et du S.D.F qui regorgeaient de propositions pertinentes. Celle ayant sûrement fait le plus sensation étant celle du Candidat Joshua Osiih de fermer la controversée ENAM (École Nationale d’Administration et de Magistrature) s’il était élu.
  • Le pire: dans un pays où l’échiquier politique est d’abord ethnique (le vote est ethnique en Afrique et pas seulement au Cameroun), le régime Biya a utilisé — comme ce fût le cas lors de la présidentielle de 92 — le tribalisme pour éviter toute union des camerounais contre leur caste. Mathias Eric Owona Nguini a exacerbé les tensions ethniques en sortant de son chapeau le néologisme “tontinard”, ayant une connotation hautement ethnique, et faisant référence aux membres de l’ethnie Bamiléké. Les destinataires de ce néologisme, ont alors répliqué en créant le néologisme “sardinard”: destiné aux supporters du parti au pouvoir qui , — c’est de notoriété publique — votent pour le RDPC en échange de boîtes de sardines.

Notons que les candidats n’ont pu faire campagne dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest à cause de la guerre.

Une élection présidentielle émaillée de fraudes

L’élection avait lieu le dimanche 7 octobre 2018. Organisée par ELECAM, son déroulement fût marqué par de nombreux couacs:

  • Les listes des inscrits dans les bureaux ne furent affichées que le matin même du vote, au lieu de 48 heures avant comme le prévoit le code électoral.
  • Les bulletins de vote de certains candidats de l’opposition n’étaient pas restockés quand ceux-ci venaient à finir.
  • De nombreux scrutateurs de l’opposition n’ont pas pu accéder aux bureaux de vote dans plusieurs régions du pays.

Malheureusement le taux d’abstention fut élevé: 46,15% selon Elecam — de nombreux citoyens des Regions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’ont pas pu se rendre dans leur bureau de vote à cause de la guerre. Le dépouillement commença dans l’ensemble du pays juste après la fermeture des bureaux de vote à 18h. Très vite les vidéos de fraudes ont envahi la toile, je vous laisse le soin d’en apprécier quelques-unes ⬇️.

Le mat du berger ?

Dans l’après-midi du Lundi 8 Octobre 2018, le Pr. Maurice Kamto sommité incontestée et incontestable de l’univers juridique, déclenche un véritable séisme politique. Même pas 24 heures après la fermeture des bureaux votes, il se déclare vainqueur en utilisant cette formule qui restera dans les annales: “j’ai reçu mission de tirer le penalty historique, je l’ai tiré, le but a été marqué”.

Dans ce pays où Paul Biya — que j’ai surnommé “Chronos”— a habitué les camerounais à des élections truquées lors desquelles il gagne avec des scores staliniens, ces derniers sont sidérés par le coup homérique, que vient de jouer Maurice Kamto sur l’échiquier politique. Le soir même, les caciques du RDPC (le parti au pouvoir) se réunissent d’urgence afin de peaufiner une stratégie dans le but de contrecarrer ce “coup de maître”. Peu de camerounais se doutaient alors que débuterait une odyssée, qui un an plus tard, n’est toujours pas achevée. Dans les jours qui vont suivre l’élection, éclate aux yeux du monde “l’affaire des faux obersavteurs de transparency international”. Commentant cette affaire, le Pr. Jean Bahebeck déclarera: Nous sommes gouvernés par “le banditisme international”.

Le Conseil Constitutionnel

Après les menaces d’arrestation jamais exécutées — du ministre de l’administration territoriale Antagana Nji —, s’ouvraient devant le Conseil Constitutionnel les audiences relatives au contentieux postélectoral. Ce sont les argonautes du Droit réunis par le Pr. Kamto: l’ancien bâtonnier Yondo Black, Me Sylvain Souop, Me Claude Assira, Me Emmanuel Simh et bien d’autres; qui allaient défendre sa requête en annulation partielle des résultats de l’élection. Le premier jour d’audience, le Pr. Kamto prît la parole et fit ce discours mémorable, au cours duquel nous avons pu admirer une fois de plus la majesté de sa prose.

Coup de théâtre au Conseil Constitutionnel! Durant les audiences, Me Ndocki et le Pr. Alain Fogue démontrent qu’il y’a 32 P.V (procès-verbaux) frauduleux et demandent aux membres du conseil constitutionnel de les faire annuler.

Le conseil constitutionnel proclame — malgré plus d’un million de voix frauduleuses — Paul Biya vainqueur de l’élection présidentielle. Parodie de justice ?

Le Non au hold-up électoral

Le Pr. Maurice Kamto lors de l’élection législative 2013 dans le Mfoundi, avait promis à ses partisans qu’il ne laissera plus jamais qu’on lui vole sa victoire. Il tient parole et décide de contester la décision du Conseil Constitutionnel dans la rue, et devant la commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

S’enchaîne alors une suite d’événements dont les principaux sont:

  • 26 Janvier 2019: marches pacifiques dans les grandes villes du pays pour dénoncer le non au hold-up électoral et réclamer la fin de la guerre au Nord-Ouest et au Sud-Ouest. Lors de ces dernières, la police a tiré délibérément à balles réelles sur les marcheurs, notamment sur Me Ndocki et sur Celestin Djamen.
  • 26 Janvier au soir: prise de l’ambassade du Cameroun à Paris, et de celle du Cameroun à Berlin par la B.A.S (Brigade anti sardinard), en riposte à la répression barbare des manifestations pacifiques de la matinée par la police camerounaise.
  • Lundi 28 janvier 2019: le Président Maurice Kamto ainsi que près de 200 de ses alliés et partisans sont arrêtés au domicile d’Albert Dzongang à Douala avec un mandat de perquisition — du jamais vu dans l’histoire judiciaire. Il est accusé d’avoir commandité la prise des ambassades. Pourtant les membres de la B.A.S ont déclaré à d’innombrables reprises n’avoir aucun lien avec le M.R.C — parti que préside Maurice Kamto.
  • Résolution du 18 Avril 2019 sur le Cameroun “Résolution du Parlement européen du 18 avril 2019 sur le Cameroun (2019/2691(RSP))” : le parlement de l’union européenne demande explicitement la fin des violences dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, et la libération du Président Maurice Kamto ainsi que de ses alliés et partisans.
  • Le 14 Mai 2019: la commission des droits de l’homme et des peuples de l’union africaine juge la requête en annulation de l’élection présidentielle recevable — elle est censée rendre sa décision en mi-Octobre.
  • 1er Juin 2019: marches pacifiques dans les grandes villes du pays pour réclamer la libération du Président Maurice Kamto, et la fin de la guerre dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest — elle a compté beaucoup plus de participants que celles de Janvier. La plupart de ses marcheurs seront arrêtés, torturés et embastillés par les suppôts du satrape d’Etoudi.
  • Samedi 29 Juin 2019: Manifestation de la B.A.S à Geneve pendant le séjour de Paul Biya, pour exiger la fin de la guerre dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, et la libération du Président Maurice Kamto. Paul Biya sera prié de quitter la Suisse par les autorités helvétiques quelques jours plus tard — ce pour éviter de nouvelles manifestations.
  • Le mardi 23 juillet: la chambre des représentants des États-unis adopte la résolution H. RES 358 contre le Cameroun. Les députés américains demandent notamment l’arrêt des violences dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, et la libération des dirigeants et militants du M.R.C du président Maurice Kamto — il faut rappeler que cette résolution a été introduite par la députée Karen Bass, qui a effectué une visite au Cameroun.
  • Samedi 5 Octobre: Après avoir passé 8 mois derrière les barreaux, le Président Maurice Kamto, ses alliés ( Penda Ekoka, Albert Dzongang, Paul-Eric Kingue, Valsero), et près de 100 de ses partisans sont libérés suite à un arrêt des poursuites ordonné par Paul Biya — suite aux pressions de la communauté internationale. Des centaines voire des milliers des partisans du Président Kamto l’attendent devant le tribunal militaire de Yaoundé et devant son domicile, pour célébrer cette sortie de prison triomphale.

Conclusion

“Il y’a deux vertus cardinales en politique, deux choses, il faut savoir pourquoi on se bat et il faut avoir la résistance. Si vous savez pourquoi vous vous battez, quelque soit la longueur du combat, si vous êtes résistants vous aurez la victoire.”

President Maurice Kamto, extrait de son discours du 5 octobre 2019 à sa sortie de prison.

Une des plus importantes pages de l’histoire politique du Cameroun s’écrit probablement sous nos yeux, mais malheureusement aussi une des plus sanglantes — plus de 3000 morts dans la guerre qui oppose l’État aux sécessionnistes au Nord Ouest et au Sud-Ouest. L’élection présidentielle d’octobre 2018 et les événements qui l’ont succédés, nous auront montré que l’opposition camerounaise, est minée par des histrions aux convictions politiques faméliques. Ces derniers en quête de pitance, mangent à tous les râteliers. Si on doit reconnaître une qualité à Paul Biya, c’est bien celle d’excellent stratégiste politique, il demeure le maître des horloges (Chronos) au Cameroun. Mais malheureusement pour lui, il a cette fois-ci face à lui un véritable génie politique, d’un niveau largement supérieur à ses adversaires précédents, et surtout qui a fait de la libération du Cameroun — de ce régime dictatorial — son sacerdoce. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, le Président Kamto est aujourd’hui “Prométhée” pour de nombreux camerounais. Ces derniers, après 36 années d’enténèbrement sous le régime Biya, voient en lui une lumière d’espoir.

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Sianan Wukak

"les vérités de tempérament doivent se payer d’une manière ou d’une autre.Les viscères, le sang, les malaises et les vices se concertent pour les faire naître."