Médecins, caste allergique aux critiques ?

Sianan Wukak
4 min readNov 13, 2019

Toute pensée critique commence par formuler des questions qui comptent.”

Achille Mbembe

Intro

Au Cameroun, il ne se passe pas un mois, sans qu’éclate une polémique sur le corps médical. La dernière en date, a eu lieu après l’agression du Dr. Cécile Koumou à l’hôpital de district d’Efoulan par 4 hommes, qui lui reprochaient de ne pas accorder la priorité, dans l’administration des soins, à un membre de leur famille. On a assisté à une véritable levée de boucliers des médecins de cet hôpital, en solidarité à leur collègue. Mais la condamnation de cette agression, a entraîné un débat vif sur la qualité du service dans les établissements hospitaliers. Plusieurs personnes ont tenu à parler de leurs déboires avec le corps médical, lors de consultations ou même d’hospitalisations. Dans ce microcosme qu’est #Twitter237, une chose frappait. On aurait dit que les critiques des usagers, causaient aux médecins un choc anaphylactique.

Les critiques seraient donc un allergène pour les médecins ?

Nombreux sont ceux d’entre eux, qui disaient en avoir marre de toujours entendre les critiques sur le service dans les hôpitaux, et jamais d’éloges.

En les lisant ces tweets, je me suis tout d’abord demandé s’ils avaient une taie sur les yeux — non pas quand même me suis je répondu. Puis, je me suis demandé si le corps des médecins était autarcique.

Avez vous déjà vu des usagers de la poste, faire une haie d’honneur au postier parce qu’il a livré le courrier ?

Faites vous l’éloge des taximans qui tous les matins, vous conduisent sur votre lieu de travail ?

Faites vous l’éloge des caissier(e)s, chez qui vous règlez vos achats au supermarché ou à la boulangerie ?

Je pense qu’à la lecture de cette poignée de questions, vous avez hochez la tête de droite à gauche, et non de haut en bas. Car, même si vous pouvez apprécier certaines de ces prestations, vous ne faites que l’éloge de celles qui vous ont particulièrement marqué, et non de toutes celles pour lesquelles vous avez payées. Il est normal, qu’au corps médical — comme à tous les autres corps de métier au Cameroun — parvienne plus de critiques que d’éloges. Une personne vociférera à coup sûre, si elle a emprunté un taxi, et a dû le payer alors qu’il ne l’a pas déposée à destination. Pourtant cette même personne, ne chantera pas des cantiques à la gloire de celui qui l’a déposée à destination. Tout ceci est dans l’ordre des choses, car cette dernière a payée pour ce service, ce taximan ne lui a pas fait la charité. Pareillement pour les médecins.

Des gladiateurs en en blouse blanche ?

Dans le tout premier épisode de Scandal, série nous faisant vivre les vicissitudes d’Olivia Pope, il y’ a cette scène mémorable où dans son cabinet d’avocats, elle dit à ses collaborateurs qu’ils sont des gladiateurs en costards. Je sais que beaucoup de nos jeunes médecins, ont entendu l’appel du sacerdoce, en regardant Grey’s Anatomy ou Dr. House. Comme le Dr. Derek Sheper et le Dr. Grégory House, ils se sont rêvés en gladiateurs en blouse blanche, qui réaliseraient des exploits pour sauver leurs patients. Mais, contrairement aux gladiateurs ovationnés par la foule après avoir réalisé des exploits dans le Colisée, eux sont conspués — sacrilège! Le sacerdoce se révèle différent de ce qu’ils avaient imaginé. La vétusté des formations hospitalières, l’absence d’équipements appropriés, le salaire famélique… dans ces conditions difficiles, comment peuvent ils donner des soins dignes de ce nom ?

Je pense que c’est ce hiatus, entre ce qu’ils ont vu dans ces séries — où des docteurs surpuissants enchaînent les exploits, et sont couverts d’éloges par leurs patients — , ou plus exactement l’image qu’ils se faisaient de leur profession, et l’impuissance qui est la leur face à la réalité du monde médical camerounais, qui leurs cause ces réactions épidermiques au contact de critiques. N’étant pas mis dans les C.N.T.P pour exercer leur métier, beaucoup considèrent qu’ils font déjà leur “magzimum” avec les moyens malingres mis à leur disposition. N’oublions surtout pas qu’ils sont un des corps, qui a la possibilité de s’expatrier facilement, car leur profession jouit d’un certain prestige.

Outro

“La critique peut être désagréable, mais elle est nécessaire. Elle est comme la douleur pour le corps humain : elle attire l’attention sur ce qui ne va pas.”

Winston Churchill

Au vu de tout ce qui précède, je pense que les médecins doivent puiser au fond d’eux-mêmes l’antihistaminique, qui leur permettra de mieux supporter cette intolérance aux critiques. Dans le cas contraire, vu la haute opinion qu’ils ont de leur corps de métier et d’eux-mêmes, il serait temps qu’ils mènent des grèves, pour obtenir de meilleures conditions de travail.

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Sianan Wukak

"les vérités de tempérament doivent se payer d’une manière ou d’une autre.Les viscères, le sang, les malaises et les vices se concertent pour les faire naître."